Une étude didactique de l`argumentation en français Cas des classes bilingues au Vietnam

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UNIVERSITEÙÙ DE PEÙÙDAGOGIE DE HO CHI MINH VILLE DEÙÙPARTEMENT DE FRANÇAIS  HẠ THỊ MAI HƯƠNG Une étude didactique de l’argumentation en français Cas des classes bilingues au Vietnam Spécialité : Didactique du français langue étrangère Code : 60 14 10 MÉMOIRE DE THAC SI EN DIDACTIQUE DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE Réalisé sous la direction de Mme NGUYEÃÃN XUAÂÂN TUÙÙ HUYEÂÂN HOCHIMINH-VILLE – 2007 REMERCIEMENTS Nous tenons particulièrement à remercier : - Madame NGUYỄN XUÂN TÚ HUYÊN, notre directeur de recherche de ses précieux conseils ; - Nos collègues et les élèves des classes 9P1, 9P2, 8P1 (année scolaire 2005-2006) du collège Trần Văn Ơn qui ont bien voulu nous aider dans la constitution des données ; - Tous nos professeurs au Département de français, de leurs enseignements tout au long de nos études ; - Notre famille et nos amis qui nous ont toujours encouragée à réaliser ce mémoire. Introduction Assurant l’une des fonctions essentielles du langage, l’argumentation est quasiment omni-présente dans toute communication, que ce soit celle de la vie de tous les jours ou du monde des sciences. Ce n’est qu’avec l’argumentation que nous nous entraînons à une pensée nette et précise. C’est seulement grâce à l’entraînement à l’argumentation que nous pouvons comprendre clairement tout problème, nous habituer à organiser nos idées avec méthodes, et au-delà de tout, les capacités argumentatives nous permettent de prendre position vis-à-vis de tout ce que nous entendons et lisons dans tous les contextes de la vie, bref, de nous forger un esprit critique. Au Vietnam, la finalité de l’éducation est de former des citoyens compétents et autonomes, ayant la capacité de s’adapter au nouveau contexte social et mondial, qui ont pour tâche d’accompagner le développement du pays (Loi de l’Education, 2005, article 5). Pour ce faire, un enseignement visant à l’accès des individus à l’autonomie et à l’esprit critique s’avère indispensable. D’ailleurs, au Vietnam comme ailleurs, avec le développement spectaculaire des médias, les jeunes ont plus de chance d’avoir accès aux sources d’informations variées et abondantes. Toutefois, sera-t-il ce récepteur passif, prêt à croire en tout sans se poser un minimum de questions indispensables pour des actions réfléchies, ou ce récepteur qui sait prendre du recul face aux informations reçues ? Donc, l’attitude d’un jeune face à ce qu’il voit, entend et lit dépendra beaucoup de ce qu’on lui apprend à l’école. C’est là la tâche de l’enseignement et de l’éducation assurés institutionnellement par les établissements scolaires. Dans cet esprit, le rôle de l’argumentation dans le programme d’enseignement en général et dans l’enseignement de la langue en particulier, que ce soit la langue maternelle ou étrangère, semble primordial. Les ouvrages scientifiques traitant de l’argumentation sont abondants et diversifiés. Les études de l’argumentation en langue française aussi ne font pas défaut. Cependant, le transfert d’un savoir nécessite tout un processus qui implique de nombreux facteurs et opérations. Comment mener à bien un enseignement efficace de l’argumentation à de jeunes publics n’est pas une question facile à répondre, surtout lorqu’il s’agit de l’argumentation en langue étrangère, le français en l’occurrence, dans le cadre où s’incrivent nos recherches, car c’est une formation en même temps aux compétences linguistiques, communicatives et intellectuelles. En tant qu’enseignante de français langue étrangère (désormais FLE) au collège, nous nous trouvons donc au cœur de la question. Cela explique notre intérêt particulier pour l’enseignement de l’argumentation en français au public collégien vietnamien. D’ailleurs, le travail et aussi la vocation du métier que nous exerçons nous oblige à toujours nous interroger sur l’efficacité de notre enseignement. Donc des observations que nous avons eu l’occasion d’effectuer auprès de nos élèves au cours de l’exercice du métier nous ont permis de constater beaucoup de difficultés chez les élèves travaillant sur l’argumentation. En effet, les élèves nous disent que pour eux l’argumentation est une activité difficile, compliquée. Ce malaise se traduit clairement par leur choix des sujets de rédaction lors des contrôles semestriels ou des examens. De nombreux élèves préfèrent opter pour le texte narratif et descriptif au lieu du texte argumentatif. Lorsqu’il s’agit des contrôles où le choix du sujet n’est pas possible, ils se débattent difficilement avec des idées, des mots et des structures pour pouvoir achever leur production tant bien que mal. Même parfois, n’arrivant pas à s’en sortir, ils se permettent de prélever par ci par là quelques passages pris dans d’autres textes. Évidemment, ce que nous avons observé n’exclut pas qu’il existe un certain nombre d’élèves qui aiment l’argumentation et qui rédigent correctement leur devoir. Toutefois ce n’est qu’une minorité infime (voir. chapitre I, p.15-17). Comme à l’écrit, la capacité d’argumentation de nos élèves à l’oral, que ce soit en français ou en vietnamien, laisse également à désirer. Dans les débats en classe, souvent ils se munissent de phrases élaborées, résultat d’une traduction du vietnamien en français et se contentent de répéter ce qu’ils ont préparé. Il leur manque de la spontanéité et des réactions en adéquation avec la situation. Ces observations du terrain constituent la motivation qui nous incite à effectuer une recherche en vue d’approfondir nos réflexions sur la question et d’en trouver les explications. Mais par où devons-nous commencer, et sur quel aspect pouvons-nous cibler notre investigation lorsque l’enseignement de l’argumentation au collège n’est pas une activité isolée ? Elle est conditionnée par de nombreux facteurs se trouvant à différents niveaux et de natures diverses. Alors, quels peuvent-être les facteurs qui participent au processus d’enseignement- apprentissage d’une langue étrangère ? Il y a tout d’abord le savoir, qui est au centre, et aussi la raison d’être du processus. Il y a ensuite les acteurs principaux : l’enseignant et l’apprenant et leur rapport au savoir. Toutes les activités de l’enseignant et de l’apprenant visant la transmission du savoir sont inscrites dans une situation d’enseignement institutionnalisée, et là il faut parler des programmes, des manuels, etc. Il faut prendre en considération également des éléments socio-culturels ou psychologiques qui interviennent à tout moment au processus en tant que facteurs favorisant ou bloquant l’acquisition chez les élèves. L’enseignement de l’argumentation en français au public collégien vietnamien n’échappe pas à cette structure. Cette constatation nous a donc permis de formuler notre questionnement de départ : Quelles sont les raisons qui sont à l’origine des difficultés en argumentation rencontrées chez nos élèves ? * Ces difficultés sont-elles d’ordre linguistique ? Nous sommes en mesure de nous poser la question, étant donné que nous apprenons aux élèves à argumenter dans une langue étrangère. Il nous semble indispensable d’identifier clairement les savoirs qui concernent l’argumentation en français. * La question est-elle égalemement d’ordre didactique ? Les difficultés rencontrées proviendraient-elles aussi de démarches pédagogiques qui posent problème ? Comment l’argumentation est-elle introduite dans les manuels vietnamiens et les manuels de FLE ? * Les problèmes observés seraient-ils aussi d’ordre culturel ? En effet, l’argumentation étant l’expression de soi, de ses propres opinions, cette expression peut varier en fonction des cultures, des visions vis-à-vis des jeunes dans une communauté. Les collégiens vietnamiens ont-ils l’habitude d’argumenter ? Quelles sont les réactions des adultes vietnamiens quand un jeune argumente ? Par ce questionnement de départ, il nous est donc possible d’avoir une perception relativement systématique de la question tout en ciblant notre recherche sur trois plans essentiels : linguistique, didactique et culturel et de formuler des hypothèses de recherche. Première hypothèse : les difficultés auxquelles se heurtent nos élèves au cours de leur apprentissage de l’argumentation pourraient provenir de la nature complexe du savoir en jeu. Deuxième hypothèse : les difficultés proviendraient aussi des problèmes didactiques. Pour le savoir, il convient de faire une étude didactique qui permet de comprendre le rapport institutionnel à l’argumentation au collège. Cela revient à effectuer une étude du programme et des manuels de FLE en service dans les collèges. L’étude didactique suppose également des recherches sur l’introduction de l’argumentation, dès l’école primaire, dans les manuels non seulement de français mais aussi de vietnamien. Nous supposons que nos élèves, qui suivent un enseignement parallèle en vietnamien et en français sont influencés, positivement ou négativement, par leurs connaissances antérieures. Ainsi, nous espérons découvrir des différences existant entre deux systèmes et leurs interférences éventuelles. Troisième hypothèse : les difficultés pourraient provenir d’une question d’ordre culturel. L’investigation restera partielle si nous ne considérons pas l’aspect culturel de la question. L’argumentation est en fait une compétence à acquérir tout au long de la vie tant en français qu’en vietnamien. Il est impossible de bien argumenter en français lorsque cette compétence laisse encore à désirer en langue maternelle. Chercher à comprendre comment la culture vietnamienne avec ses spécificités exerce des influences sur le comportement des jeunes, en langue maternelle ainsi qu’en langue étrangère, s’avère nécessaire et important. Or nous sommes consciente qu’il existe de grandes divergences entre la culture occidentale et la culture orientale dans leur perception du monde et précisément, en ce qui nous concerne, dans leur vision de l’enfant. Il nous semble donc primordial de savoir si la culture vietnamienne favorise la prise de parole chez les jeunes et s’ils ont l’habitude d’argumenter au sein de la famille et dans d’autres contextes sociaux. Afin de vérifier toutes ces hypothèses, nous avons l’intention, en premier lieu, d’effectuer une étude théorique afin d’identifier les éléments conceptuels nécessaires à notre investigation. Nous commencerons par les principaux composants théoriques de l’argumentation en français afin de pouvoir vérifier la première hypothèse sur la complexité d’ordre linguistique du savoir. Ensuite, nous nous intéresserons aux concepts didactiques car notre objectif consiste essentiellement à faire une étude didactique sur l’argumentation. À la lumière de ce cadre théorique, à la fois linguistique et didactique, nous réaliserons une étude sur le rapport institutionnel à l’argumentation au collège en faisant des analyses des programmes et des manuels de FLE et de langue vietnamienne. Et nous espérons que cette étape nous permettra de répondre à la question posée sur le plan didactique. Enfin, une enquête réalisée auprès de notre public sur leurs activités d’argumentation dans la vie quotidienne nous fournira des éléments de réponse aux interrogations sur le plan culturel. Chapitre 1 : Analyse du contexte 1.1. Présentation des classes bilingues 1.1.1. Historique À l’entrée du XXIème siècle, époque où la mondialisation est de plus en plus accélérée, la Francophonie apparaît comme un enjeu qui permet à beaucoup de pays de faire face aux risques d’une nouvelle forme de dépendance causée par cette uniformisation réductrice liée étroitement à la globalisation. Ainsi, l’un des défis majeurs de la francophonie est la formation de jeunes francophones qui puissent s’intégrer activement au monde francophone dans toutes ses dimensions, économiques, culturelles et sociales. Pour cette raison, l’année 1994 a vu la mise en place progressive des classes bilingues au Vietnam. Ce programme est le fruit de la coopération entre l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et le gouvernement vietnamien. Cet enseignement bilingue est dispensé du primaire au secondaire et se fait dans le respect du programme éducatif national. À l’issue des cursus d’enseignement bilingue au secondaire, les élèves pourraient continuer leur formation en français par les Filières Universitaires Francophones soutenues par l’Agence Universitaire de la Francophonie et les universités membres de l’AUF. Étant de bons francophones, ces jeunes peuvent concentrer leurs efforts sur les enseignements professionnels qui y sont dispensés. La mise en œuvre du programme Classes bilingues au Vietnam a été possible grâce aux conventions suivantes : - convention entre le Ministère de l’Education et de la Formation du Vietnam et l’AUF signée le 28 mars 1994 prévoyant la mise en place d’un enseignement intensif du français et en français dans des écoles primaires et secondaires. - accord cadre entre le Ministère de l’Education et de la Formation et l’AUF signé le 3 mai 1994 pour l’implantation de l’enseignement intensif du français et en français dans les école générales vietnamiennes pour une durée de 12 ans. - différentes conventions signées entre les services d’Education, les autorités populaires régionales et l’AUF pour certaines implantations. - convention entre le Ministère des Affaires étrangères français et l’AUF signée le 28 février 1995 confiant le pilotage des projets classes bilingues primaires et secondaires à l’AUF. En juin 2006, après 12 ans de la mise en place du programme, la convention entre l’AUF et le gouvernement Vietnamien est arrivée à son terme. Le programme Classes bilingues est maintenu sous la gestion du Ministère de l’Education et de la Formation vietnamien. Malgré son retrait, l’AUF poursuit son appui au Vietnam pour améliorer la qualité de l’enseignement en français depuis l’école primaire jusqu’à l’Université avec la mise en œuvre du projet Valofrase. (site C.B. sur 1.1.2. Objectifs L’objectif principal du programme EIDEF, Enseignement intensif du et en français, autrement dit programme Classes bilingues est de former des élèves parfaitement francophones et d’un bon niveau scientifique qui seront capables de poursuivre des études supérieures en français, en partie ou entièrement : - dans les filières universitaires francophones (FUF), - dans les universités francophones d’Europe et d’Amérique pour les meilleurs d’entre eux. Il vise ainsi à : - préparer des générations d’élèves à accéder aux filières francophones de l’enseignement supérieur en mettant en œuvre un ensemble cohérent de formation dans l’enseignement primaire et secondaire ; - valoriser l’enseignement des disciplines scientifiques en français ; - former les enseignants de ces cursus à l’enseignement bilingue et à un enseignement rénové de la langue française ; - développer des méthodes d’enseignement du français langue seconde pour l’ensemble des cycles et des outils pédagogiques spécifiques à l’enseignement en français des disciplines scientifiques. (site C.B. sur 1.1.3. Organisation de l’enseignement Actuellement les élèves inscrits dans les classes bilingues suivent le programme vietnamien dans son intégralité, soit de 18 à 20 séances de 45 minutes par semaine. A ce programme-là, se greffe l’enseignement intensif du français et en français d’un volume horaire de 8 à 12 séances par semaine. L’enseignement du français débute en classe de 1ère et dure 12 ans jusqu’à la classe de 12e. En primaire, les mathématiques et les connaissances scientifiques sont enseignés à partir de la classe de 4e ou de 5e, par les enseignants de français. Quant à des disciplines scientifiques, les mathématiques se font dès la 6e au collège avec 3 séances par semaine. Les cours de physique en français ne sont dispensés qu’à partir de la 7e. 1.1.4. Manuels utilisés Les manuels en usage dans les classes bilingues sont de diverses origines : ils peuvent être soit des ouvrages existant sur le marché, soit des livres élaborés spécifiquement pour les apprenants vietnamiens, sous la direction de l’AUF. Ils sont accompagnés de livrets pédagogiques et du Référentiel général d’orientations et de contenus pour le Français Langue Seconde (2000, France), ainsi que des directives annuelles du Ministère. NIVEAU PRIMAIRE Français - Classe de 1ère, de 2e et de 3e : Petite grenouille 1 et 2 - Clé international - Classe de 4e : Ici au Vietnam 4e - NXBGD + Ici et ailleurs 4e - Hachette Edicef - Classe de 5e : Ici au Vietnam 5e - NXBGD + Ici et ailleurs 5e - Hachette Edicef NIVEAU SECONDAIRE (Classe 6e – Classe 9e) Français - Classe de 6e : Ici et ailleurs 6e - Hachette Edicef - Classe de 7e : Ici et ailleurs 7e - Hachette Edicef - Classe de 8e : Ici et ailleurs 8e - Hachette Edicef - Classe de 9e : Ici et ailleurs 9e - Hachette Edicef Mathématiques - Classe de 6e : Mathématiques 6e Collection Triangle - Classe de 7e : Mathématiques 5e Collection Triangle - Classe de 8e : Mathématiques 4e Collection Triangle - Classe de 9e : Mathématiques 3e Collection Triangle Physique - Classe de 7e : Physique 7 - Dossier thématique - Classe de 8e : Physique 8 - Dossier thématique - Classe de 9e : Physique 9 - Dossier thématique 1.1.5. Relation entre le programme EIDEF et le programme ministériel vietnamien L’enseignement bilingue est dispensé en parallèle et dans le respect du programme ministériel vietnamien. Cet enseignement bilingue qui commence très tôt dès le primaire, avec des méthodes actives, encourage la participation des élèves et a beaucoup contribué depuis sa mise en œuvre à développer progressivement chez eux des attitudes, à notre avis, positives, à savoir l’autonomie, la participation, le dynamisme, l’ouverture d’esprit et l’esprit critique,…. Étant donné que ces attitudes sont souhaitables dans toute formation, elles favorisent et améliorent par conséquent la performance du travail des élèves au cours des heures en vietnamien. De plus, les disciplines scientifiques, mathématiques et physique, enseignées en français, sont en complémentarité avec celles qui sont enseignées en vietnamien, ce qui pourrait faciliter l’apprentissage de ces matières dans les deux langues. Le Rapport d’évaluation interne du projet « Classes bilingues de la République socialiste du Vietnam, (2004, p.29,30) a permis d’arriver à l’une des remarques suivantes, après une douzaine d’années de mise en œuvre du programme : l’impact de la langue française serait ressenti comme positif pour le paysage linguistique. L’apprentissage de la langue française faciliterait considérablement celui de la langue vietnamienne, d’après les enseignants de langue. « La grammaire de la langue française permettrait un apprentissage facilité de la grammaire vietnamienne ». Ainsi la langue cible pourrait favoriser la maîtrise de la langue source. Toutefois, outre les heures en vietnamien comme dans les classes ordinaires, les heures en français exigent un travail supplémentaire chez les élèves. Cette surcharge causée par la lourdeur des horaires constitue ainsi un facteur handicapant pour certains élèves. 1.2. Difficultés des élèves dans l’argumentation Étant enseignante du français dans des classes bilingues au collège, niveau 8e et 9e, nous nous intéressons particulièrement à ce public. À ces niveaux, les élèves commencent à travailler intensivement sur le discours argumentatif. L’objectif de cette étape est « d’orienter progressivement les élèves vers la découverte et la maîtrise des textes argumentatifs, afin de développer leurs capacités de raisonnement, d’analyse et de synthèse. » (Référentiel général d’orientations et de contenus, p.47). Ainsi, à cette étape, les élèves doivent apprendre à rédiger un texte argumentatif et à défendre leurs positions par des arguments dans une discussion en groupe. Au cours de cet apprentissage, nos élèves ont manifesté beaucoup de plaisir de pouvoir s’exprimer, partager leurs pensées. Toutefois, les difficultés auxquelles ils se heurtent sont aussi remarquables. En voici les manifestations que nous avons pu observer au cours de notre enseignement. 1.2.1. Choix des sujets de contrôle Nous avons réalisé une observation des devoirs de contrôle des élèves de deux classes au niveau 8e. Nous sommes chargée de l’enseignement du français pour la classe 8P1. L’autre classe, la classe 8P2 était sous la responsabilité d’une autre collègue. Selon le programme, le discours argumentatif est enseigné au deuxième semestre. Le temps réparti à l’enseignement de ce type de texte est de 5 à 6 semaines sur le volume horaire total de 16 semaines pour tout le semestre. C’était lors de l’examen de fin du 2e semestre, l’année scolaire 2004-2005. Pour la compétence « expression écrite », l’élève avait droit aux deux sujets au choix : Le premier sujet : « Donne ton avis sur la relation parents-enfants d’aujourd’hui. Qu’est-ce que tu attends des parents ? Comment faire pour maintenir une belle relation ou pour la rendre meilleure ? (15 lignes environ) (Ton texte doit comporter au moins 3 arguments illustrés d’exemples.) » Le deuxième sujet : « Tu as un(e) ami(e) français(e) qui vient pour la première fois à Hochiminh-ville. Écris-lui pour lui donner des informations intéressantes sur ta ville et des conseils pour un séjour agréable. (15 lignes environ) (Le choix des informations est très important.) » Le premier sujet demande donc aux élèves de rédiger un texte argumentatif sur la relation parents-enfants et le deuxième, d’écrire une lettre pour fournir des informations, faire une description et donner des conseils. Nous ne ferons pas ici une analyse des sujets ou des commentaires sur leur degré de difficulté car tel n’est pas notre objectif. Ce qui nous intéresse est simplement le choix des élèves. Seuls 3 élèves sur 35 de la classe 8P1 et 2 sur 37 de la classe 8P2 ont choisi le premier sujet. Ce choix trahirait-il le malaise des élèves face au texte argumentatif ? Pour être sûre que notre constat est bien fondé, nous avons relu les devoirs des élèves de 9e, lors de l’examen de fin du 1er semestre de la même année scolaire. Il y avait deux classes, 9P1 et 9P2. Nous étions responsable de la dernière. Lors de cet examen, pour la compétence « expression écrite », les élèves ont eu aussi deux sujets au choix : Le premier sujet : « Tu t’es déjà enrhumé au moins une fois dans ta vie. Quand tu attrapes un rhume, c’est sûr que ce n’est pas agréable. Décris tes sensations, tes impressions et tes sentiments quand tu tombes dans cet état. » Le deuxième sujet : « Penses-tu comme Françoise dans le texte « Malade » que la maladie, les accidents, cela n’arrive qu’aux autres ? Justifie ta réponse à l’aide d’exemples personnels. » Et voici la consigne : « Choisis un sujet et selon les consignes, rédige un texte de 150 à 200 mots. » Ces deux sujets sont en rapport avec le texte donné dans la partie « Compréhension écrite » de l’épreuve, où le personnage qui s’appelle Françoise a exprimé ses émotions et ses pensées une fois qu’elle est tombée malade. Cette fois, le premier sujet exige de l’élève une description de ses émotions quand il s’enrhume et le deuxième, un texte où l’élève doit exprimer son opinion, ce qui implique une prise de position de sa part et des arguments accompagnés d’exemples pour la justifier. Cette fois aussi, seuls 2 élèves sur 28 de la classe 9P1 ont choisi le deuxième sujet et dans l’autre classe, 4 sur 28. Les deux observations réalisées sur les devoirs des élèves de quatre classes, appartenant au deux niveaux différents, à deux moments différents, ont donné presque le même résultat. Nous sommes donc amenée à constater que nos élèves auraient des difficultés avec le texte argumentatif. Argumentation à travers les écrits Les difficultés sont observées également à travers les écrits des élèves. Nous avons pris un passage du devoir d’un élève au niveau 8e comme illustration. Ayant choisi le premier sujet, texte argumentatif sur la relation parents-enfants, il a écrit : « (1)Dans mon pays, il y a beaucoup de l’enfance qui a les cambrioleur parce que ses parents n’occupent pas lui.(2) Un homme qui pose la question : « Qu’est-ce que tu attends des parents ? ».(3) Il y a un peu de l’enfant répond « non » parce que ses parents battent lui quand il boit d’alcool.(4) Ensuit, ses parents n’écoute pas quand lui réponde. Les enfants sont en colère. Ils battent ses parents et sortent de la maison. (5) Mais il y a un peu qui réponde « oui » parce que ses parents sont né lui et ses parents qui l’aime plus que tout le monde. (6) Les parents toujours conseillent vrai. […] » (devoir d’élève, compétence EE, examen de fin de 2e semestre 04-05, classe 8e) (voir Annexes p. 19) Ce devoir contient certes beaucoup de fautes morpho-syntaxiques, lexicales, etc. que nous n’aborderons pas ici. Ce qui nous intéresse en analysant ce devoir est la capacité d’argumenter à la française de l’élève. Pour introduire son texte, il a fait une remarque (1) sur la situation de certains enfants défavorisés. Il a cité ensuite une des questions soulevées par le sujet (2). Mais il est vraiment difficile de pouvoir rétablir un lien logique entre (1) et (2). Pour répondre à la question du sujet (2), il a avancé quatre arguments, (3)(4) pour parler des mauvaises relations parents-enfants, deux autres, (5)(6) pour parler des bonnes relations. Cette fois, on ne voit pas non plus à quoi servent ces arguments et quelle thèse ils soutiennent. D’ailleurs, (4) et (5) ressemblent beaucoup plus à des exemples qu’à des arguments. Il est donc visible que l’élève n’a pas su comment se débrouiller avec son texte. De plus, même s’il a utilisé des connecteurs (ensuite, mais,…), il les a oubliés là où il faut. Par exemple, entre (1) et (2), il faudrait au moins quelque chose qui puisse les articuler pour expliciter un certain lien. Au niveau 9e, parmi les 6 élèves qui ont choisi d’exprimer leurs opinions, seuls 3 savaient comment le faire. Les trois autres, même s’ils ont beaucoup écrit, ne sont pas arrivés à se positionner et à faire sortir l’idée principale de leur texte. Ce qu’ils ont écrit est tout à fait à côté. Selon les exigences du sujet, l’élève doit prendre sa position en disant qu’il est d’accord ou non avec Françoise pour qui la maladie, les accidents, cela n’arrive qu’aux autres. Et voici ce qu’ont écrit nos élèves (voir Annexes p. 20-22) : (7) « La maladie, les accidents de Françoise dans le texte « Malade » sont pensés à la malheureux de Françoise par moi. […] Je pense que tout le monde qui est malade n’est pas agréable. C’est normal. Quand nous sommes malades, nous ne pensons pas que cela est normal.» (8) « Je ne pense pas comme Françoise, la maladie, les accidents, cela peut arriver avec les autres. […] Alors, la maladie, les accidents, cela peut n’arriver qu’aux autres si on sait s’occuper, on a bien appris les leçons de moral à l’école et les jeunes ont des consciences.» (9) « Dans le texte « Malade », je pense aux maladies, les accidents,… comme Françoise. […] Enfin, je pense que Françoise a peur des accidents, des maladies,… mais ce n’est pas problème parce que quand tu rencontres cet accident au futur, peut-être tu as peur. […]. » (7), (8), (9) sont les passages que nous avons extraits des devoirs de trois élèves précités. Nous avons relevé toutes les phrases portant la marque de leur point de vue personnel, situées au début et vers la fin du devoir, afin d’en dégager l’essentiel de leurs opinions. Et comme toutes les idées sont à côté, nous ne savons pas s’ils sont d’accord ou non avec le personnage du texte de compréhension. Ces exemples montrent qu’ils ne savaient pas comment se positionner et dans quel sens leurs idées doivent s’orienter pour avoir des opinions pertinentes et en adéquation avec le contexte. Nous avons pris ces exemples non pas pour dire que tous les autres élèves rencontrent les mêmes problèmes. Nous voulons tout simplement montrer qu’il existe de véritables difficultés dans la rédaction des textes argumentatifs chez nos élèves. 1.2.2. Argumentation à l’oral Comme à l’écrit, nos élèves ne sont pas non plus à l’aise avec l’argumentation à l’oral. Dans les débats en classe, beaucoup sont bloqués et ne peuvent pas dire un mot, tandis que beaucoup d’autres parlent avec des notes devant les yeux. La spontanéité et des réactions en adéquation avec la situation sont ainsi absentes de ces discussions. Certes, ces comportements s’observent non seulement au cours des débats mais aussi dans d’autres séances de pratique de l’oral et pas uniquement chez notre public collégien. Il est possible qu’il s’agit des difficultés liées à l’expression orale en général. Toutefois, cela ne veut pas dire forcément que le malaise observé chez nos élèves quand ils ont à argumenter oralement n’a rien à voir avec leur capacité à argumenter. Nous avons observé un groupe d’élèves qui sont presque au même niveau en expression orale en général mais leur compétence en argumentation à l’écrit se différencie. Nous avons constaté que ceux qui maîtrisent mieux les techniques de l’argumentation à l’écrit se débrouillent mieux dans les débats oraux. Les arguments qu’ils avancent sont souvent plus pertinents et adéquats. Par contre, chez ceux qui n’argumentent pas bien à l’écrit, les difficultés sont plus nombreuses. Même s’ils arrivent toujours à parler, ils se font comprendre plus difficilement. Ces observations montrent que la capacité à argumenter constitue aussi un des facteurs qui agissent sur la prise de parole chez les élèves. Donc, les difficultés observées auprès de ces derniers lors des discussions pourraient s’expliquer en partie par leurs difficultés en argumentation. Conclusion au chapitre I Enseignante de français au collège dans le cadre du programme des classes bilingues, nous sommes ainsi chargée de l’enseignement de l._.’argumentation en français à ce public. Les observations sur les difficultés que rencontrent nos élèves au cours de leur apprentissage nous ont poussée à en chercher des explications, car ce n’est qu’en comprenant bien l’origine ou les origines du problème que nous pourrions y apporter des solutions. Alors, pour savoir pourquoi nos élèves rencontrent autant de difficultés face au discours argumentatif, une étude sur les caractéristiques linguistiques du savoir s’avère indispensable car l’origine des difficultés pourrait se situer sur ce plan. Cette étude devrait être poursuivie d’une étude sur l’introduction de ce savoir au programme d’enseignement du français dans les classes bilingues. Il est donc important de savoir à quelle étape du cursus les élèves sont sensibilisés à l’argumentation et de quelle façon. Chapitre 2 : Éléments conceptuels Après avoir effectué l’analyse du contexte, notre travail continuera avec la recherche des notions théoriques qui serviront de cadre à notre étude. Nous aborderons donc en premier lieu les principaux concepts de l’argumentation, et en deuxième lieu les concepts didactiques essentiels, ce qui nous permettra de comprendre la nature du savoir en jeu et de réaliser une étude sur l’introduction de ce savoir dans le programme d’enseignement des classes bilingues. 2.1. ÉTUDE THÉORIQUE SUR L’ARGUMENTATION 2.1.1. Introduction L’argumentation est une notion complexe. Pour pouvoir la saisir, nous avons effectué des lectures de différents auteurs dans le domaine. Nous avons commencé par Perelman et Olbrechts-Tyteca (1970), en passant par Moeschler (1985), Anscombre et Ducrot (1988), Plantin (1990) et Charaudeau (1992), pour terminer avec Adam (1997). Chacun de ces auteurs ont développé des recherches théoriques sur l’argumentation sous de divers angles de vue, qui ont éclairé les différents aspects de la notion. Dans l’ensemble, l’argumentation peut être considérée à deux niveaux, niveau de la langue et niveau du discours. Alors, pour certains auteurs, l’argumentation est vue comme fait de la langue, tandis que pour d’autres, elle est fait du discours, et pour d’autres encore, elle est étudiée sous tous les deux aspects. Alors, avant d’examiner le concept de l’argumentation sur ces deux niveaux principaux, nous trouvons nécessaire de rappeler la distinction entre langue et discours. Selon Charaudeau et Maingueneau (2002 : 185), « la langue définie comme système de valeurs virtuelles s’oppose au discours, à l’usage de la langue dans un contexte particulier, qui filtre ces valeurs et peut en susciter de nouvelles ». Dans son cours de licence sciences du langage portant sur l’analyse du discours, Salih AKIN (2002-2003 : 7) a fait la synthèse des définitions qui opposent le discours à la langue comme suit : « Dans la tradition saussurienne, on sait que la langue est considérée comme un système arbitraire abstrait, alors que le discours renvoie à toute production verbale, c’est-à-dire au langage mis en action, à la langue assumée par le sujet parlant. La langue est définie comme un système unique partagé, tandis que le discours se rapporte à un usage restreint spécifique de ce système. » La distinction langue/discours une fois faite nous aidera à examiner avec plus de précision la notion d’argumentation, pour voir comment elle est étudiée chez les auteurs précédemment cités. 2.1.2. Définitions du concept 2.1.2.1. Argumentation comme fait de la langue Dans son ouvrage publié en 1985, Moeschler a souligné l’importance des études sur l’aspect linguistique de l’argumentation en disant que « l’étude de l’argumentation peut s’intéresser aux moyens linguistiques (c’est nous qui soulignons) dont dispose le sujet parlant pour orienter son discours, chercher à atteindre certains objectifs argumentatifs » (1985 : 45). En 1988, Anscombre et Ducrot ont développé cette idée dans l’ouvrage intitulé L’argumentation dans la langue. Ils ont écrit ceci : « L’argumentation, telle que nous la concevons, satisfait pour sa part aux deux conditions. Pour nous en effet, un locuteur fait une argumentation lorsqu’il présente un énoncé E1 (ou un ensemble d’énoncés) comme destiné à en faire admettre un autre (ou un ensemble d’autres) E2. Notre thèse est qu’il y a dans la langue des contraintes régissant cette présentation. Pour qu’un énoncé E1 puisse être donné comme argument en faveur d’un énoncé E2, il ne suffit pas en effet que E1 donne des raisons d’acquiescer à E2. La structure linguistique de E1 doit de plus satisfaire à certaines conditions pour qu’il soit apte à constituer, dans un discours, un argument pour E2. » (1988 : 8) Deux ans après, Plantin souligne que l’argumentation peut être étudiée sous deux niveaux : langue et discours. Se plaçant tout d’abord dans la langue, Plantin a donné la formulation suivante à cette conception : « L’argumentation est l’opération linguistique par laquelle un énonciateur avance un énoncé-argument dont la structure linguistique oriente le destinataire vers certains enchaînements. » (1990 : 148) Exemple : (1) Vous fréquentez des espions (2) Qui s’assemble se ressemble (3) Vous êtes un espion D’après lui, « (3) formule la conclusion de l’argumentation (la thèse défendue par l’énonciateur) ; (1) exprime un fait établi et (2) un principe général hors discussion, qu’en imitation du vocabulaire de la logique classique on peut appeler les prémisses de l’argumentation. Prises conjointement, celles-ci énoncent la raison avancée pour appuyer la conclusion, donc la base rationnelle de l’argumentation. » (Plantin, 1990 : 126). Selon cette vision, « les enchaînements d’énoncés sont pré-formés argumentativement dans la langue » (1990 : 148). Donc, selon ces auteurs, l’argumentation fait partie de la langue et elle doit être étudiée sous cet aspect. 2.1.2.2. Argumentation comme fait du discours Comme langue et discours sont deux notions étroitement liées l’une à l’autre, l’argumentation appartient également au discours. D’après Perelman et Olbrechts-Tyteca (1970 : 5) : « L’argumentation [est] l’étude des techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment ». Moeschler, lui, après avoir parlé de l’aspect linguistique des études sur l’argumentation, aborde également son aspect discursif : «[...] L’étude de l’argumentation peut s’intéresser aux stratégies de discours visant la persuasion ou aux modes de raisonnement non formel du langage naturel impliquant un effet sur l’auditoire » (1985 : 45). Ainsi, il définit l’argumentation comme suit : « Une argumentation consiste donc en une relation entre un ou des arguments et une conclusion. […] Un argument définit toujours une classe de contre-arguments, comme une conclusion définit une conclusion inverse ». (1985 : 47) Selon cette définition, argumenter consiste donc à fournir des raisons pour valider une conclusion. Les raisons sont ainsi des arguments qui ont pour tâche de faire admettre la conclusion. Moeschler souligne aussi qu’« un discours argumentatif se place toujours par rapport à un contre-discours effectif ou virtuel » (1985 : 47). Cela veut dire que l’argumentation et la polémique vont toujours ensemble. Alors, défendre une thèse ou une conclusion signifie toujours la défendre contre d’autres thèses ou conclusions par des contre-arguments. Plantin, lui aussi, s’intéresse à l’argumentation non seulement au niveau de la langue, mais également au niveau du discours. Il avance la définition suivante : « L’argumentation est l’opération discursive par laquelle un locuteur cherche à influencer un public. » (1990 : 149) D’après lui, « si on place l’argumentation dans la langue, argumenter c’est faire sens, on assimile le fait d’argumenter au fait de parler, et une norme argumentative est ipso facto inconcevable [...]. Pour qu’une norme argumentative puisse apparaître, il faut se placer dans les discours ». Ainsi, l’argumentation doit être considérée comme fait de discours. La norme argumentative peut être théoriquement la norme de la vérité mais pratiquement, elle doit servir les intentions du locuteur et être par conséquent efficace. Dans un autre ouvrage, Plantin aborde la question sous un angle différent : « Une argumentation, c’est un passage du mieux assuré (du plus acceptable), l’argument, vers le moins assuré (le moins acceptable), la conclusion. Les règles de passage ont pour fonction de faire passer sur la conclusion l’agrément accordé à la donnée argumentative, mais le passage suppose toujours un saut : il y a toujours plus dans la conclusion que dans les prémisses. » (1989 : fiche 2) Par cette définition, il met en évidence la différence entre l’argumentation et la démonstration. « Dans la conception traditionnelle des procédés d’inférence, si l’on dispose de règles permettant de transformer intégralement l’accord sur les prémisses (la vérité des prémisses) en accord sur la conclusion (la vérité de la conclusion), on a affaire à une démonstration ; si les règles ne font que rendre plus acceptable (plus plausible) la conclusion au vu de l’argument, on a une argumentation. » (ibid) Plus tard, après Plantin, Charaudeau se place également sur le plan du discours pour définir l’argumentation. Selon lui « l’argumentation n’est pas l’affaire des catégories de la langue (les conjonctions de subordination) mais bien de l’organisation du discours. » (1992 : 780). Il la définit comme suit : « Argumenter est une activité discursive qui, envisagée du point de vue du sujet argumentant, participe d’une double quête : - une quête de rationalité qui tend vers un idéal de vérité quant à l’explication des phénomènes de l’univers. - une quête d’influence qui tend vers un idéal de persuasion, lequel consiste à faire partager à l’autre (interlocuteur ou destinataire) un certain univers de discours au point que celui-ci serait amené à tenir les mêmes propos » (1992 : 784,785) Charaudeau ne parle pas de quête de vérité mais d’un idéal de vérité. D’après lui, il n’y a jamais de vérité absolue, puisque tous les phénomènes de l’univers sont perçus à travers un prisme déformant qui est celui de l’expérience individuelle et sociale de la personne et aussi celui des opérations de pensée qui construisent l’univers discursif. Ce qui fait que la quête du vrai devient la quête du plus vrai ou d’un vraisemblable qui dépend des représentations socioculturelles partagées entre les membres d’un groupe en fonction de ses expériences ou de ses connaissances (1992 : 784). De là, nous voyons surgir la dimension culturelle de l’argumentation sur laquelle nous allons revenir plus en détail dans les parties qui suivent. Toujours selon Charaudeau, pour qu’il y ait argumentation, il faut qu’il existe : - un propos sur le monde qui fasse question pour quelqu’un quant à sa légitimité. - un sujet qui s’engage par rapport à ce questionnement (conviction) et développe un raisonnement pour essayer d’établir une vérité (qu’elle soit propre ou universelle, qu’il s’agisse d’une simple acceptabilité ou d’une légitimité) sur ce propos. - un autre sujet qui, concerné par le même propos, questionnement et vérité, constitue la cible de l’argumentation. Il s’agit de la personne à laquelle s’adresse le sujet qui argumente, dans l’espoir de l’amener à partager la même vérité (persuasion), sachant qu’elle peut accepter (pour) ou refuser (contre) l’argumentation. L’argumentation se définit donc dans un rapport triangulaire entre un sujet argumentant, un propos sur le monde et un sujet-cible. (1992 : 783,784) * * * Ainsi, à travers différentes définitions et descriptions de l’argumentation, nous constatons qu’elle doit être étudiée notamment comme fait du discours qui a pour objectif et pour enjeu de convaincre l’interlocuteur, sans que l’on puisse se passer de ses contraintes linguistiques. 2.1.3. Aspects linguistiques de l’argumentation – liens et relations logiques Il est impossible de parler de l’argumentation sans aborder la question des relations logiques car l’opération argumentative consiste en tout cas à une opération logique qui relie des assertions sur le monde. Ces assertions sont donc unies par des liens qui construisent des rapports de sens entre les êtres, les propriétés et les actions. Pour cette raison, ces liens sont appelés « liens logiques ». Selon Charaudeau (1992 : 496), il existe trois niveaux de construction des relations logiques : - niveau cognitif, où se construisent les archétypes logico-linguistiques ; - niveau linguistique, où le lien est spécifié par le sens des marques formelles ; - niveau discursif, où c’est le contexte et la situation de communication qui intègrent ce lien dans un dispositif argumentatif. La configuration linguistique de la relation logique peut se faire sous diverses formes, à l’aide: - de mots grammaticaux, autrement appelés conjonctions ou connecteurs, - de mots lexicaux, qui intègrent une relation logique implicite, - de certaines constructions de phrases comme la construction gérondive, participe ou infinitive. (ibid) Nous allons donc étudier les principaux types de lien. Il s’agit de la conjonction, la disjonction, la restriction, l’opposition et la causalité dans laquelle on distinguera les sous- catégories à savoir l’implication, l’explication et l’hypothèse. Nous empruntons toujours ici la classification, les définitions et les termes de Charaudeau (1992 : 497-550). 2.1.3.1. La conjonction Définition : la conjonction est une opération qui consiste à relier deux assertions dont l’un, au moins, des éléments constitutifs de l’une est sémantiquement identique à l’un des éléments constitutif de l’autre. Ex : Jacques est grand et fort. 2.1.3.2. La disjonction Définition : la disjonction est une opération qui consiste à relier deux assertions dont l’un au moins des éléments constitutifs de l’une soit sémantiquement identique à l’un des éléments constitutifs de l’autre. Ex : Gérard est grand ou petit ? 2.1.3.3. La restriction Définition : la restriction met en présence deux assertions qui ont au moins un élément constitutif en commun. Ces deux assertions sont reliées de telle manière que l’une de celles- ci nie l’assertion (le plus souvent implicite) qui pourrait être l’une des conséquences de l’autre assertion (considérée comme l’assertion de base). L’assertion restrictive est exprimée soit à l’aide d’un terme contraire à celui de la conséquence implicite, soit à l’aide d’une simple négation. Ex : Il aime le spectacle, mais il n’aime pas le théâtre. (Elément constitutif commun : Il aime le théâtre ; Assertion implicite, conséquence possible de l’assertion de base : S’il aime le spectacle, on pourrait penser qu’il aime le théâtre ; Assertion restrictive, par simple négation : Il n’aime pas le théâtre) 2.1.3.4. L’opposition Définition : l’opération d’opposition met en présence deux assertions. Dans chacune de ces assertions il y a au moins deux éléments constitutifs qui sont sémantiquement contraires deux à deux. Et les deux assertions s’opposent de manière explicite. Ex : Quand le chat dort, les souris dansent. 2.1.3.5. La causalité Définition : l’opération de causalité établit une relation logique entre deux assertions, de telle sorte que poser l’une entraîne l’existence de l’autre. Corrélativement, cette dernière dépend pour son existence de la première en en constituant son point d’aboutissement, et ce quel que soit l’ordre de ces assertions et des mots qui les relient dans la construction de l’énoncé. Catégories de la causalité : on distingue - Les relations de causalité à visée généralisante : l’implication - Les relations de causalité à visée particularisante : l’explication - Les relations de causalité à visée hypothétique : l’hypothèse 5.1. L’implication L’implication est une relation de causalité à visée généralisante, dont le mouvement de pensée saisit globalement l’assertion de base et l’assertion dépendante, à la différence de l’explication qui privilégie tantôt l’une, tantôt l’autre. Il existe trois sous-catégories d’implication selon la condition logique qui s’y attache : l’implication conditionnelle, l’implication absolue simple, l’implication absolue réciproque. L’IMPLICATION CONDITIONNELLE Définition : l’implication conditionnelle satisfait à une condition nécessaire, c’est-à- dire que l’assertion de base (A1) se pose, parmi les conditions possibles, comme celle dont la négation entraîne obligatoirement la négation de l’autre assertion (A2). Ex : Si on s’acharne dans la vie, on réussit. L’IMPLICATION ABSOLUE SIMPLE Définition : l’implication absolue simple satisfait à une condition inéluctable, c’est-à- dire que l’assertion de base (A1), chaque fois qu’elle se produit, entraîne obligatoirement A2. Ex : Tout ce qui a de la valeur est rare. L’IMPLICATION ABSOLUE RÉCIPROQUE Définition : l’implication absolue réciproque satisfait à une condition exclusive, c’est- à-dire que non seulement A1 entraîne obligatoirement A2, mais en plus A2 entraîne obligatoirement A1 (réciprocité). Ex : Seule sa banque pouvait le tirer d’affaire. 5.2. L’explication L’explication est une relation de causalité à visée particularisante, dont le mouvement de pensée prend appui sur l’une des deux assertions pour envisager ou atteindre l’autre. Il existe quatre sous-catégories de l’explication : l’explication conditionnelle, l’explication causale, l’explication conséquentielle, l’explication finale. L’EXPLICATION CONDITIONNELLE Définition : l’explication conditionnelle pose que l’existence de A1 détermine l’existence de A2. Ex : S’il fait beau dimanche, nous pourrions aller au zoo. L’EXPLICATION CAUSALE Définition : le mouvement de pensée part de l’existence de l’assertion de A2 pour remonter jusqu’à son origine, l’assertion A1, dont l’existence représente sa source. L’explication causale repose donc, sur une condition inéluctable, puisque ce qui justifie que l’on pose A2, c’est l’existence de A1. Ex : Il est arrivé tôt parce qu’il est parti tôt. L’EXPLICATION CONSÉQUENTIELLE Définition : le mouvement de pensée part de l’existence de A1 pour aboutir à l’existence de A2 qui dépend de celle-ci. Alors, la relation entre A1 et A2 correspond à une condition inéluctable qui est présentée comme si elle était exclusive. Ex : Il est parti tôt de sorte qu’il est arrivé tôt. L’EXPLICATION FINALE Définition : dans la relation de but, l’existence de A2 n’est qu’envisagée à partir de l’assertion A1. On dira que A2 est mise en perspective par rapport à A1 dans une condition nécessaire. Ex : Il est parti tôt pour arriver tôt. 5.3. L’hypothèse Définition : dans la relation d’hypothèse, l’assertion de base A1 fait problème quant à son existence, entraînant du même coup une suspension de l’existence de l’assertion A2 qui en dépend. L’hypothèse se différencie donc de l’implication. Dans l’implication, l’existence de A1 ne fait pas de doute, tandis que dans l’hypothèse, l’assertion A1 est mise en doute et posée comme ne pouvant s’actualiser. Il en existe trois sous-catégories : - L’hypothèse présente : A1 est à l’imparfait, A2 au conditionnel. Ex : Si je savais (actuellement) ce qu’il en pense, je pourrais agir en conséquence. - L’hypothèse future : A1 est à l’imparfait, A2 au conditionnel. Ex : Si le ciel tombait (un jour), il nous révélerait bien des choses. - L’hypothèse passée : A1 est au plus-que-parfait, A2 au conditionnel passé. Ex : Si j’avais su (à l’époque), je ne me serais pas lancé dans cette voie. RÉCAPITULATION TYPES DE RELATIONS LOGIQUES ET LEURS MARQUES ESSENTIELLES LA CONJONCTION - « Addition » : « Pierre et Jacques sont sortis. » - « Association » : « Pierre est sorti avec Jacques. » - « Réciprocité » : « Pierre et Jacques se regardent. » LA DISJONCTION - « Exclusive » : « Bonnet blanc ou blanc bonnet. » - « Exclusive + Inclusive » : « Défense de cracher ou fumer. » LA RESTRICTION - « Simple » : « Il est fort mais bête. » - « Concessive » : « Bien qu’il soit fort, il est bête. » L’OPPOSITION - « Simple » : « Pendant qu’il pleut à Paris, il fait beau à Nice. » L’IMPLICATION (Causalité généralisante) - « Conditionnelle » : « Si on boit on élimine. » - « Absolue simple » : « Tout ce qui a de la valeur est rare. » - « Absolue réciproque » : « Seul Pigier forme les secrétaires modernes. » L’EXPLICATION (Causalité particularisante) - « Conditionnelle » : o Suggestion : « S’il fait beau, vous pourriez... » o Autorisation : « Si tu finis ton travail, tu pourras... » o Menace : « Tu ne sortiras que si tu termines. » - « Causale » : « Il est arrivé tôt parce qu’il est parti tôt. » - « Conséquentielle » : « Il est parti tôt de sorte qu’il est arrivé tôt. » - « Finale » : « Il est partit tôt pour arriver tôt. » L’HYPOTHÈSE (Causalité particularisante) - « Présente » : « Si je savais (actuellement), j’irais. » - « Future » : « Si je savais (un jour), j’irais. » - « Passée » : « Si j’avais su, je n’y serais pas allé. » *** Nous venons de parler de l’argumentation en tant que fait de la langue. Nous allons maintenant l’aborder sous son aspect discursif. 2.1.4. Aspects discursifs de l’argumentation 2.1.4.1. La relation argumentative 1.1. Les éléments de base de la relation argumentative La séquence argumentative, tout comme celle de la narration ou description, doit se composer d’un certain nombre d’énoncés. Et pourtant, ce qui différencie l’argumentation des autres types de séquences est la relation qui unit ces énoncés. Cette relation est appelée ainsi relation argumentative. C’est celle qui nous permet de distinguer ce qui est de l’argumentation de ce qui ne l’est pas. Donc, pour comprendre ce que c’est une relation argumentative, il est nécessaire d’examiner tout d’abord ses éléments de base. Selon Charaudeau (1992 : 787), toute relation argumentative se compose d’au moins trois éléments : une assertion de départ (donnée, prémisse), une assertion d’arrivée (conclusion, résultat), et une (ou plusieurs) assertions de passage qui permet de passer d’une assertion à l’autre (inférence, preuve, argument). - L’assertion de départ (A1): ou en d’autres termes, donnée ou prémisse, c’est-à-dire la proposition qui est mise en avant ou le fait duquel découle une conséquence. Elle constitue une parole sur le monde qui consiste à faire exister des êtres, à leur attribuer 1.2. des propriétés, à les décrire dans des actions ou des faits. Cette assertion, qui est configurée sous la forme d’un énoncé, représente une donnée de départ destinée à faire admettre une autre assertion par rapport à laquelle, en retour, elle se justifie. (ibid) - L’assertion d’arrivée (A2) : elle représente ce qui doit être accepté en raison de l’assertion de départ A1 , et du lien qui la rattache à celle-ci. Ce lien est toujours un « lien de causalité », du fait que l’assertion d’arrivée A2 peut représenter la cause de la prémisse (« A1 parce que A2 ») ou sa conséquence («A1 donc A2 »). Cette assertion peut être appelée conclusion de la relation argumentative, elle représente la légitimité du propos. (ibid, 788) - L’assertion de passage : le passage de l’assertion de départ A1 à l’assertion d’arrivée A2 ne se fait pas de façon arbitraire. Il doit être établi par une assertion qui justifie le lien de causalité unissant A1 et A2. Cette assertion représente un univers de croyance à propos de la manière dont les faits s’entre-déterminent dans l’expérience ou la connaissance du monde. Cet univers de croyance doit donc être partagé par les interlocuteurs impliqués par l’argumentation, de sorte que soit établie la preuve de la validité du lien qui unit A1 à A2, l’argument qui, du point de vue du sujet argumentant, devrait inciter l’interlocuteur ou le destinataire à accepter comme vrai ce propos. Cette assertion (ou série d’assertions), souvent non dite, implicite, pourra être appelée preuve, inférence ou argument selon le cadre de questionnement dans lequel elle s’inscrit. (ibid) Exemple : « Le ciel est bleu, tu peux fermer ton parapluie. » - L’assertion de départ (A1) : « Le ciel est bleu » - L’assertion d’arrivée (A2) : « tu peux fermer ton parapluie » - L’assertion de passage (implicite) : « Quand le ciel est bleu il ne pleut pas. Quand il ne pleut pas on n’a pas besoin d’avoir un parapluie ouvert. » Les caractéristiques de la relation argumentative D’après Moeschler (1985 : 52-54), la relation argumentative peut être caractérisée par les propriétés suivantes : - Premièrement, il y a relation argumentative, lorsqu’il y a un argument et une conclusion. L’argument est présenté comme destiné à faire admettre, justifier la conclusion. Puisque l’argument n’est pas une preuve, comme la conclusion, il peut être soumis à la réfutation. Alors, la fonction de la relation argumentative est la mise en acceptabilité d’une conclusion. D’ailleurs, il est nécessaire de souligner que la relation argumentative n’est pas prédictible par la seule information linguistique contenue dans l’argument. Ainsi, si dans (1) il existe une relation argumentative entre deux énoncés, il ne s’agit que de la redondance dans (2) : (1) Il fait beau. Je vais donc sortir (2) Gaston mesure 1 mètre 80. Il ne mesure donc pas 1 mètre 50 - Deuxièmement, la relation argumentative n’est pas nécessairement une relation entre deux entités linguistiques de type énoncé. Il apparaît en effet d’une part que la conclusion peut être de nature implicite, d’autre part que certains arguments, constitutifs de la relation argumentative, peuvent être de nature non linguistique. Dans l’exemple suivant, même indique que la conclusion visée est implicitée, de même que certains arguments : (3) A : Comment était ta soirée ? B : Même Achille est venu Selon le contexte, la conclusion pourra être positive (« ma soirée était très réussie ») ou négative (« quelle catastrophe !»). Même indique donc que la réponse est à interpréter comme un argument pour une conclusion (positive ou négative) et que cet argument constitue un élément décisif pour cette conclusion. - Troisièmement, la conclusion, lorsqu’elle est implicite, doit cependant être accessible. Cette contrainte sur les conclusions peut être formulée par le principe d’accessibilité de la conclusion. Selon ce principe, l’interlocuteur doit disposer, de par le contexte dans lequel l’énoncé apparaît, de suffisamment d’informations pour pouvoir rétablir la conclusion lorsque celle-ci est implicite. Le défaut de ce principe l’autorise à poser la question pourquoi tu dis ça ? Exemple : (4) Achille est intelligent, mais lubrique. À la suite de (4), l’interlocuteur sera tout à fait en droit d’interroger le locuteur sur les raisons de son énonciation, étant donné la difficulté qu’il aura à reconstruire la conclusion implicite convoquée par mais. - En dernier lieu, l’argument, en tant qu’il est « destiné à servir une certaine conclusion », possède une orientation argumentative. La valeur argumentative d’un énoncé (c’est-à-dire le fait qu’il doit être interprété comme un argument pour une conclusion) est déterminée par son orientation argumentative. Il est à distinguer, parmi les arguments, ceux qui sont coorientés de ceux qui sont anti-orientés. Deux arguments sont coorientés lorsqu’ils sont présentés comme destinés à servir une même conclusion, et anti-orientés lorsqu’ils sont destinés à servir des conclusions inverses. Lorsque deux énoncés sont argumentativement coorientés, ils peuvent l’être soit relationnellement, soit indépendamment, c’est-à-dire appartenir ou non à un paradigme d’orientation définissant les degrés plus ou moins forts des arguments. Exemples : (5) Allons nous baigner : il fait beau et d’ailleurs je n’ai pas envie de travailler. (6) Cornélius est savant, mais brouillon. Dans (5), d’ailleurs indique qu’il articule des arguments coorientés et dans (6) mais indique l’anti-orientation des arguments. 1.3. L’organisation de la logique argumentative La séquence argumentative prototypique Nous savons par les définitions qu’un discours argumentatif vise toujours à intervenir sur les opinions, attitudes ou comportements d’un interlocuteur ou d’un auditoire en rendant crédible ou acceptable une conclusion qui est appuyée, sur ce qu’on appelle argument, donnée ou raison. D’après J.-M. Adam, « par définition, la donnée-argument vise à étayer ou à réfuter une proposition. On peut dire que ces notions de conclusion et de donnée (ou encore prémisses) renvoient l’une à l’autre. Un énoncé isolé n’est pas a priori conclusion ou argument-donnée. […]. La relation [donnée  conclusion] peut être considérée comme une séquence de base […].» (1997 : 104) Ainsi, Adam (1997 : 118) a proposé le schéma suivant pour l’organisation logique d’une séquence argumentative de base : Séquence argumentative THÈSE + DONNÉES Étayage donc probablement CONCLUSION ANTÉRIEURE (Prémisses) des inférences (Nouvelle thèse) P. arg 0 P. arg 1 P. arg 2 à moins que P. arg 3 RESTRICTION P. arg 4 Ce schéma se compose donc de trois « macro-propositions » (ibid) essentielles (P.arg 1, P.arg 2 et P.arg 3). Il explicite le passage des données (P.arg 1) à la conclusion (P.arg 3) assuré par l’étayage des inférences, qui servent ainsi des arguments (P.arg 2). Toutefois, une restriction (réfutation ou exception) (P.arg 4) ._. différentes, nous sommes obligée de distribuer le questionnaire en trois temps. Nous avons commencé par nos deux classes. Le 22 novembre 2005 les premiers exemplaires ont été envoyés au cours d’une séance de français à 24 élèves de la classe 8P1 (effectif : 24). Nous leur avons demandé de remplir les réponses sur place après une brève présentation de l’objectif de l’enquête et des explications portant sur les questions. Ils ont eu environ 40 minutes pour écrire leurs réponses sur l’exemplaire. Ainsi, les enquêtés ont pu se concentrer mieux sur les réponses. L’administration du questionnaire a été réalisée sous le sceau du volontariat et de l’anonymat. Les élèves étaient libres de répondre ou de ne pas répondre aux questions et les feuilles de réponse étaient anonymes. À la fin de la séance, nous avons récupéré 23 feuilles de réponse car un élève a refusé de nous remettre son exemplaire. Le jour suivant, le 23 novembre 2005 nous avons passé 35 autres exemplaires à 35 élèves de la classe 9P1. Nous avons procédé de la même manière la passation. Finalement nous avons ramassé 35 feuilles de réponse. Il faut noter que les élèves de cette classe avaient plus d’aisance et plus d’enthousiasme vis-à-vis de ce type d’activité car durant le temps de travail avec eux, nous leur avions plus d’une fois sollicité le même travail. Pour la troisième classe, nous avons eu plus de difficulté à trouver le temps pour faire passer le questionnaire. Nous avons dû demander l’accord de notre collègue pour pouvoir travailler avec la classe lors d’une séance de français dont elle était responsable. Elle était prête à nous aider, pourtant c’était le moment de la révision pour le contrôle du 1er semestre, et tous les professeurs devaient terminer le programme à temps et préparer les élèves au contrôle. Il était impossible d’entrer dans la classe avant la fin de l’examen semestriel. Nous avons dû ainsi attendre jusqu’au 4 janvier 2006 pour pouvoir rencontrer les élèves. Nous leur avons envoyé 34 exemplaires que nous avons tous récupérés. 3.2.3. Résultats d’analyse L’enquête a donné les résultats suivants (voir Annexes p.8-18) : 3.2.3.1. Concernant les caractéristiques du public : (questions : I.1, I.2, I.3, I.4, I.5, I.6, I.7, I.8, I.9) Comme nous l’avons précisé précédemment, nous avons choisi comme public de notre enquête 92 élèves dont 38 garçons et 54 filles, de 3 classes bilingues, une 8e et deux 9e, du collège Trần Văn Ơn. Les 23 élèves de la classe 8e avaient 13 ans et les 69 élèves de deux classes 9e avaient 14 ans au moment où le questionnaire leur a été envoyé. Pour une analyse efficace de ces informations, nous avons regroupé les professions selon deux critères : la disponibilité que permet la profession et le niveau d’instruction que requiert la profession chez une personne. Ainsi nous avons pu classer les professions déclarées en quatre groupes. Le premier groupe rassemble les professions qui sollicitent beaucoup d’investissements au niveau du temps et d’instruction : homme d’affaires, médecin, cadre, agent de police. Le deuxième groupe réunit les professions qui sollicitent beaucoup de temps mais moins au niveau d’instruction : commerçant, prestataire de service, chauffeur, marin. Le troisième est le groupe des professions qui permettent une plus grande disponibilité du père auprès de la famille et le niveau d’instruction de la personne qui les exerce est assez élevé : ingénieur, fonctionnaire, enseignant, pharmacien, employé. Et le dernier groupe est composé des professions qui demandent moins au niveau d’instruction et qui permettent plus de temps libre ou un emploi du temps stable : ouvrier, photographe, entraîneur, artisan. Nous sommes consciente que ce regroupement est tout à fait arbitraire car une personne qui est ouvrière pourrait très bien avoir un niveau d’instruction élevé et être très prise par son travail. Toutefois, comme l’objectif de ce classement est juste pour avoir une idée de l’environnement où nos élèves sont élevés en vue d’établir un lien, s’il y en a, entre cet environnement familial avec la pratique de l’enfant en matière de l’argumentation, nous acceptons de ne pas pouvoir considérer la situation cas par cas. Ainsi nous avons résumé cette situation comme suit : Groupe de professions Nombre % Faible disponibilité + niveau d’instruction élevé 27 29,3 Faible disponibilité + niveau d’instruction peu élevé 17 18,5 Grande disponibilité + niveau d’instruction élevé 31 33,7 Grande disponibilité + niveau d’instruction peu élevé 6 6,5 En observant ce tableau, il est à noter que nombreux sont des élèves qui ont un père disponible (33,7%), capable de créer un environnement d’éducation familiale favorable. Il existe toutefois une autre partie considérable des élèves dont le père est peu disponible (47,8%) sans compter les cas où le père est décédé. Cette absence fréquente du père réduirait le dialogue père-enfant ce qui pourrait donc entraîner les malaises éventuels chez l’enfant dans sa prise de parole. Nous avons procédé à la même analyse avec les données concernant la profession de la mère. Nous avons aussi classé ces professions en quatre groupes : Groupe de professions Nombre % Faible disponibilité + niveau d’instruction élevé 14 15,2 (agent de police,, médecin, cadre, femme d’affaires) Faible disponibilité + niveau d’instruction peu élevé 13 14,1 (commerçante, prestataire du service de tourisme) Grande disponibilité + niveau d’instruction élevé 31 33,7 (employée, enseignante, technicienne en informatique, comptable, ingénieur, pharmacienne, fonctionnaire) Grande disponibilité + niveau d’instruction peu élevé 28 30,4 (femme au foyer, ouvrière, coiffeuse, tailleuse) En observant ces données, nous constatons que si la plupart des pères sont peu disponibles, les mères sont beaucoup plus présentes dans la famille. 64,1% des mères auraient donc la disponibilité pour les contacts et les dialogues quotidiens avec leur enfant. La majorité des enquêtés sont issus d’un milieu social aisé et intellectuel (58/92 soit 63% pour les pères, 45/92 soit 48,9% pour les mères). Leurs parents sont encore jeunes, de 40 à 49 ans pour la plupart (45/92 soit 48,9% pour les pères, 54/92 soit 58,7% pour les mères). Et ce sont des familles peu nombreuses avec deux enfants pour la majorité (55/92 soit 59,8%) et avec un enfant (15/92 soit 16,3%). En général, les enfants uniques et les enfants des familles peu nombreuses bénéficient plus de soins des parents, pourtant la possibilité d’avoir d’autres interlocuteurs dans la famille outre les parents est très réduite. Par contre les enfants des familles nombreuses reçoivent peut-être moins de soins mais ont beaucoup plus de chance au dialogue entre frères et sœurs. De plus, près de 49% (45/92) de nos enquêtés sont premiers enfants, ils ont un certain rôle dans la famille, au moins supérieur que celui de leurs petits frères ou petites sœurs, et leur parole pourrait plus écoutée par les parents. Nous pensons donc que le métier des parents peut avoir une influence sur la prise de parole des enfants, suite à leur rapport à la hiérarchie et à la parole elle-même. Le paramètre de l’âge est aussi significatif à notre avis : plus les parents sont proches de leur enfant au point de vue âge, mieux le dialogue passerait, plus facilement et ouvertement. Le fait que l’enfant soit unique ou l’aîné d’une famille peu nombreuse, donc objet de plus de sollicitude de la part des parents, pourrait également influer sur son comportement verbal. La mise en relation de ces facteurs avec l’aisance verbale des élèves, leur attitude ouverte semble aller dans le sens des hypothèses formulées. Plus de la moitié des enquêtés (52/92 soit 56,5%) préfèrent les matières qui appartiennent à la science exacte, la mathématique, la physique et la chimie en l’occurence. Ces matières favorisent le développement du raisonnement logique chez l’élève, ce qui est indispensable dans toute argumentation. Par contre il n’y a que 13% des interrogés s’intéressent au domaine social à savoir : histoire, géographie, littérature, éducation civique, etc. Or ces disciplines sont également extrêmement importantes car elles leur donnent la matière de leur pensée et de leur raisonnement. Faute des connaissances fournies par ces disciplines, l’enfant manque du fil nécessaire pour tisser sa réflexion ou en d’autres termes, il n’a pas de moyen pour approfondir sa critique vis-à-vis d’une réalité. À partir des informations obtenues de cette première partie du questionnaire, nous avons pu mieux cibler notre public, ce qui facilite l’analyse des autres réponses dans les parties qui suivent. 3.2.3.2. Concernant les comportements observés : - Comportements des parents perçus par les enfants concernant la prise de parole du jeune : Plus de la moitié (53/92 soit 57,6%) des enquêtés sont écoutés et respectés par les membres de la famille quand ils discutent. Toutefois, pour le reste des interrogés, la famille, le père et la mère en général, ne s’intéresse pas à ce qu’ils disent, les gronde ou même leur interdit de s’exprimer. (question II.4) Plus de la moitié (52/92 soit 56,4%) des élèves interrogés ne sont pas encouragés par leurs parents à la prise de la parole. Même si beaucoup de parents respectent et écoutent leur enfant, ils ne pensent pas à l’encourager à toujours discuter avec eux. Cela peut être dû à la vision de l’enfant chez les parents vietnamiens fortement influencés par la tradition, selon laquelle l’enfant n’est pas considéré comme un individu indépendant, égal à l’adulte. (question II.5) - Comportements des professeurs perçus par les élèves : La plupart des professeurs encouragent les élèves à donner leurs opinions (78/92 soit 84,8%) et les respectent quand ils argumentent (83/92 soit 90,2%). Il existe toutefois, une partie qui ne l’encourage pas (7/92 soit 7,6%) et même l’interdit (3/92 soit 3,3%). (questions III.4, III.6) - Comportements des enquêtés vis-à-vis de leurs parents : La plupart des élèves interrogés (57,6%) disent qu’ils n’argumentent pas souvent dans la famille, ce qui pourrait s’expliquer par l’absentéisme du père et de la mère dans nombreuses familles. Par conséquent la conversation parents-enfants serait peu fréquente. (question II.1) Près de 62% (57/92) des interrogés ont pour interlocutrice la mère dans la famille. Ils parlent non seulement à la mère mais aussi au père (46/92 soit 50%). Toutefois si l’on observe ce résultat sous un autre angle de vue, près de 40% des élèves n’auraient pas l’habitude de discuter avec leur mère et 50% ne parlent pas au père. C’est un fait qui nous oblige à réfléchir. Pourquoi tant d’enfants n’arrivent-ils pas à exprimer leur pensée auprès de leur parents ? Et si ce n’est pas les parents qui doivent habituer les enfants à la prise de parole au sein de la famille, comment et où pourraient-ils s’entraîner à un esprit critique vis- à-vis des éléments constituant le monde où ils vivent ? Argumenter n’est pas simplement dire quelque chose n’importe comment mais la dire dans la logique des faits et en adéquation avec la situation de communication afin de défendre l’opinion de soi-même et de convaincre les autres. Ainsi l’argumentation requiert non seulement des connaissances sur la vie, sur le monde mais aussi des savoirs linguistiques pour les expliciter. L’argumentation est donc un savoir-faire complexe qui requiert beaucoup d’entraînement chez la personne qui la pratique. Ceci veut dire que nombreux sont les élèves (parmi nos enquêtés) qui ne se retrouvent pas dans des conditions favorables pour le développement de cette compétence. (question II.2) Plus de 68% (63/92) des interrogés ont choisi la situation où le sujet de discussion les intéressent tandis seulement 54% (50/92) discutent quand ils ne sont pas d’accord avec ce que disent les autres. 54% c’est déjà plus de la moitié, c’est-à-dire un chiffre important. Toutefois le désaccord entre différentes personnes sur un sujet est une situation quotidienne qui arrive à tout le monde et à tout moment de la vie ; si on ne discute pas pour le régler, que peut-on faire ? Accepter sans souci l’avis d’autrui s’il s’agit d’un supérieur ou rester silencieux tout en gardant sa propre manière de penser ? Les deux dernières réactions semblent correspondre parfaitement à la mentalité vietnamienne, qui préconise l’harmonie dans les relations. Créer des conflits explicitement c’est un acte qui brise cette harmonie collective, ce qui est très mal jugé dans la société vietnamienne traditionnelle. Un proverbe vietnamien très courant le montre : « Lời nói không mất tiền mua, lựa lời mà nói cho vừa lòng nhau (La parole nous ne coûte pas d’argent, il faut bien la choisir pour ne pas vexer ceux qui nous écoutent) ». (question II.3) 81,5% des interrogés aiment discuter dans la famille pour plusieurs raisons dont la principale est que c’est une occasion où ils peuvent exprimer leurs opinions (41/92). (question II.6) 44,6% (41/92) aiment la discussion car elle leur permet de dire ce qu’ils pensent, de montrer aux adultes qu’ils ont leur propre opinion et que les enfants eux-aussi peuvent avoir raison. (question II.6) Ces réponses sont aussi intéressantes à mesure qu’elles nous donnent à repérer les représentations de la discussion en famille chez les élèves de cet âge. Nous avons classé ces représentations par ordre décroissant d’importance accordée par le nombre des réponses obtenues de chaque variable. Ainsi la discussion en famille est une occasion : - où on peut exprimer les opinions personnelles sur un sujet donné ; - où on peut acquérir beaucoup de connaissances ; - qui permet à la personne qui discute d’avoir plus de confiance en soi pour défendre mieux ses idées ; - qui permet d’apprendre à écouter les autres ; - qui permet une meilleure compréhension mutuelle entre les membres de la famille ; - qui permet de s’affirmer ; - qui rend plus libre et plus démocratique le milieu familial. C’est là la représentation d’ordre positif de la discussion en famille. La question est aussi considérée sous un angle de vue beaucoup moins favorable par les 18,5% qui disent non ou qui hésitent encore. Pour eux la discussion est « bruyante » et « fatigante », et elle ne permet pas à l’enfant d’exprimer ses pensées car celui-ci est toujours considéré comme avoir tort dans tous les débats ; elle peut donc entraîner le conflit dans la famille. (question II.6) La peur de provoquer des conflits, d’avoir des ennuis avec les parents ou avec d’autres membres de la famille a empêché ces élèves de vouloir dire ce qu’ils pensent dans une discussion. Près de 74% des interrogés décident de s’arrêter quand on ne leur permet plus de discuter même s’ils ne sont pas du tout convaincus de l’opinion des autres. (question II.7) Ils ne veulent pas provoquer des conflits et vexer les adultes et ils ont peur d’être grondés. De plus, un enfant doit obéir aux grandes personnes pour être qualifié de « sage ». Presque le quart (22/92) des élèves interrogés choisissent de ne pas s’intéresser à la discussion. (question II.7) La majorité des enquêtés (73/92) trouvent que la discussion est nécessaire dans la famille car elle permet une meilleure compréhension mutuelle et elle permet aussi d’exprimer les opinions personnelles. (question II.9) Une autre partie des enquêtés (16/92 soit 17,3%) pensent que discuter en famille n’est pas nécessaire. C’est toujours la peur du conflit qui constitue le noyau de tout refus et toute hésitation. (question II.9) - Comportements des enquêtés vis-à-vis des professeurs : 55/92 (59,8%) des enquêtés argumentent souvent au collège. Toutefois, il n’y a que 34,8% (32/92) qui discutent avec leurs professeurs. Les professeurs ne sont pas donc des interlocuteurs privilégiés (questions III.1, III.2). De nombreux enquêtés décident de s’arrêter quand les professeurs ne leur permettent pas de parler même s’ils gardent toujours leur avis par le respect envers ces derniers (15/92 soit 16,3%), parce qu’ils ont peur de vexer les professeurs (11/92 soit 11,9%), qu’ils ont peur d’être grondés par ceux-ci (6/92 soit 6,5%) et parce que pour eux les professeurs ont toujours raison (3/92 soit 3,3%) (question III.8) Beaucoup d’enquêtés (85/92 soit 92,4%) aiment la discussion et la jugent nécessaire car elle leur permet de dire ce qu’ils pensent, de montrer aux adultes qu’ils ont leur propre opinion et que les enfants eux-aussi peuvent avoir raison. Pourtant certains d’autres (3/92 soit 3,3%) ne la veulent pas ou hésitent pour la principale raison : la peur de provoquer le conflit avec les professeurs. (question III.9) - Comportements des enquêtés vis-à-vis de leurs amis : Si la plupart des interrogés n’argumentent pas souvent en famille, ils le font souvent au collège avec les amis. Nous avons compris tout de suite qu’au collège, les élèves sont exposés à un environnement où ils peuvent avoir plus d’interlocuteurs de même âge, qui partagent facilement avec eux les valeurs communes du groupe. Il n’y a plus cette peur de vexer les supérieurs. Pour cette raison, 100% des enquêtés parlent à leurs amis. Toutefois, ils ont toujours peur de provoquer le conflit avec ces derniers. (questions III.2, III.8) Conclusion partielle À l’heure actuelle, la situation au Vietnam a beaucoup changé. Bien que la société vietnamienne ait ouvert ses portes aux autres courants de pensées, l’harmonie du groupe, la paix, le respect des aînés sont toujours autant de valeurs qui sont ancrées dans la mentalité et le comportement des Vietnamiens. Cette enquête nous a permis de confirmer notre hypothèse selon laquelle les difficultés que rencontrent nos élèves dans l’apprentissage de l’argumentation en français pourraient provenir des spécificités culturelles. Nos élèves, élevés dans un environnement familial assez favorable à la prise de parole, n’ont pas pour autant des conditions nécessaires et indispensables pour développer leur sens critique et pour s’entraîner à l’argumentation. En effet, nous avons vu, à travers leurs réponses, que les adultes qui les entourent ont souvent un comportement qui ne facilite pas l’expression des points de vue des jeunes, et que ces derniers, en cas de désaccord, même avec leurs camarades, préfèrent éviter les conflits en se taisant. Par conséquent, la formation à l’argumentation en langue française représente presque une évolution de l’identité même de l’élève. Une meilleure prise en compte des différences culturelles dans les attitudes langagières permettra ainsi à l’enseignant de comprendre les problèmes rencontrés dans l’enseignement de l’argumentation et de décider des démarches appropriées. Les décideurs du Ministère, s’ils sont conscients de ces différences, seront amenés à reconsidérer les horaires du programme pour atteindre les objectifs fixés. Conclusion générale Actuellement, avec le besoin de plus en plus grandissant de dialogue et de discussion, conditionné par les caractéristiques de notre époque, l’enseignement de l’argumentation s’impose. Toutefois, nos élèves dans leur apprentissage de l’argumentation, en français en l’occurence, rencontrent beaucoup d’obstacles. Donc, pour rendre notre enseignement plus efficace, nous sommes amenée à rechercher les origines de ces difficultés de nos élèves. Nous avons formulé trois hypothèses sur trois plans : linguistique, didactique et culturel. 1. Hypothèse sur le plan linguistique : Nous avons fait l’hypothèse que les difficultés auxquelles se heurtent nos élèves au cours de leur apprentissage de l’argumentation pourraient provenir de la nature du savoir. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons effectué une étude théorique sur l’argumentation, sa définition et ses composantes à travers les ouvrages des grands auteurs du domaine tels que Perelman et Olbrechts-Tyteca (1970), Moeschler (1985), Anscombre et Ducrot (1988), Plantin (1990), Charaudeau (1992) et Adam (1997). Cette étude nous a permis d’élaborer une trame conceptuelle de l’argumentation, qui a montré à quel point l’argumentation constitue un savoir complexe. Notre première hypothèse est ainsi vérifiée. 2. Hypothèses sur le plan didactique : Notre deuxième hypothèse est que les difficultés de nos élèves dans l’apprentissage de l’argumentation en français proviendraient aussi des problèmes didactiques. Pour vérifier cette hypothèse nous avons dû chercher à savoir comment l’argumentation est enseignée en langue maternelle et en français. Afin de réaliser cet objectif, nous avons dû nous doter tout d’abord des concepts de base en didactique. L’étude théorique sur la transposition didactique, sur l’organisation du savoir et sur la notion de compétence nous a fourni un éclairage théorique nécessaire à l’étude de terrain que nous avons effectué ultérieurement. D’ailleurs, cette étude nous a permis également de constater que l’argumentation n’est pas simplement un savoir, mais une compétence à faire acquérir aux élèves. Or la compétence n’est pas innée, elle se construit, et il est important de noter que l’ensemble de la compétence s’acquiert dans l’activité, d’où la grande importance de la réalisation en contexte réel de l’activité à plusieurs reprises. Donc, la compétence argumentative, elle aussi, ne s’acquiert que dans l’activité effectuée par les élèves. L’étude de terrain que nous avons effectuée par la suite consiste à analyser l’introduction de l’argumentation dans le programme d’enseignement en vietnamien et en français. Comme au Vietnam, le programme est concrétisé par les manuels élaborés par le Ministère de l’Éducation, qui doivent être obligatoirement et exclusivement utilisés en classe par les enseignants. Alors, analyser l’introduction de l’argumentation dans le programme de vietnamien et de français reviendra à analyser son introduction dans les manuels utilisés. Dans le programme de vietnamien, l’argumentation n’est enseignée qu’à partir de la classe de 7e du collège. Les élèves n’ont pas encore assez de temps pour assimiler ce savoir et s’y entraîner en vietnamien. Donc, les acquis en argumentation dans la langue maternelle ne sont pas suffisants, à notre avis, pour favoriser l’apprentissage de l’argumentation en français. Dans le programme de français, l’argumentation est introduite beaucoup plus tôt et de manière systématique au primaire. Toutefois, l’entraînement n’est pas poursuivi au cours des deux premières années du collège. D’où une rupture importante et pleine de conséquences. Cela explique les difficultés quand l’activité est reprise en classe de 8e et de 9e car l’argumentation est une compétence qui ne s’acquiert qu’avec une pratique régulière. De plus, au niveau des savoirs à enseigner, certains contenus n’ont pas été abordés dans les deux programmes, de vietnamien et de français, ce qui constitue à notre avis une raison, entre autres, qui explique les lacunes et les difficultés de nos élèves en argumentation. Par rapport au référentiel portant sur l’argumentation, nous trouvons que dans les manuels Ici et ailleurs, manuels officiels du programme Classes Bilingues, tous les contenus de savoirs et activités d’entraînement requis sont présents. Toutefois, ces manuels, avec les lacunes que nous avons observées précédemment, ne peuvent pas assurer eux seuls un enseignement efficace à la compétence argumentative. De plus, au niveau de la répartition horaire, le temps réservé à des activités liées à l’argumentation dans les manuels en question n’est pas suffisante pour permettre un entraînement régulier à la compétence argumentative. Notre deuxième hypothèse est donc vérifiée. 3. Hypothèse sur le plan culturel : Nous avons fait la troisième hypothèse qui se situe sur le plan culturel : les difficultés de nos élèves en argumentation en français pourraient provenir des éléments culturels. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé une enquête centrée essentiellement sur les élèves des classes bilingues du niveau 8e et 9e. À travers leurs réponses aux questions posées, nous avons pu comprendre en partie leurs pensées et leurs comportements face aux situations où il faut argumenter ainsi que les comportements de leurs parents et professeurs quand ils argumentent. L’attitude commune que nous avons pu observer chez ces élèves dans cette enquête est qu’ils ont peur de provoquer des conflits avec les autres, surtout quand il s’agit des supérieurs. Cela les a empêchés de prendre la parole et par conséquent d’avoir l’habitude d’argumenter. Les résultats de l’enquête nous ont ainsi permis de valider notre troisième hypothèse. * * * Les résultats obtenus nous ont permis d’enrichir et d’approfondir nos réflexions sur l’enseignement de l’argumentation et particulièrement, l’enseignement de l’argumentation au public des classes bilingues au Vietnam, avec ses problèmes et spécificités. Apprendre une langue étrangère, surtout une langue compliquée qu’est le français, n’est pas chose allant de soi. Donc la réussite ne s’obtient pas du jour au lendemain. Le travail de l’enseignant qui est le nôtre est de chercher à comprendre les raisons de leurs difficultés et à partir de cela réfléchir à améliorer sa pratique pédagogique. Avec ce travail, nous sommes restée encore au premier stade, chercher à comprendre les raisons des difficultés. Donc, le chemin que nous devons suivre est encore long. À notre avis, pour un enseignement-apprentissage réussi en langue étrangère, une prise en compte des caractéristiques linguistiques et culturelles de son public est nécessaire et très importante. Ce n’est à partir de cela que nous pouvons élaborer un programme et une répartition horaire adéquats. Comme il est impossible d’avoir un référentiel universel pour tous les publics, des transferts et réadaptations de référentiel sont toujours indispensables. Ainsi, dans le cas des élèves vietnamiens qui rencontrent des difficultés en argumentation, un aménagement du programme au niveau des contenus à enseigner et du temps réservé aux études et à l’entraînement sera à préconiser. Donc, des recherches pour une expérimentation sur le terrain qui visent à réadapter le programme d’enseignement de l’argumentation à différents niveaux, à modifier le référentiel et à élaborer des séquences pédagogiques qui soient plus aptes à résoudre les difficultés des élèves en argumentation constitueront pour nous une piste prometteuse. Et nous espérons pouvoir continuer notre travail sur l’enseignement de l’argumentation dans cette perspective. Bibliographie 1. Adam J.-M. (1997), Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan, 223p. 2. Akin S., Université de Rouen – Département des Sciences du Langage et de la communication, Licence sciences du langage, 2002-2003 : Analyse du discours. 3. Anscombre J.-C. et Ducrot O. (1988), L’Argumentation dans la langue, Bruxelles, Mardaga, 184p. 4. AUF – L’Enseignement du français langue seconde – Un référentiel général d’orientations et de contenus, 2000, Edicef, 95p. 5. Besse H. et Porquier R. 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